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Thèse présentée à l'Ecole supérieure de pharmacie de Paris
pour obtenir le grade de Pharmacien de première classe



par ¶

François Stanislas Cloëz

Observations et expériences sur l'oxydation des matières grasses d'origine végétale



soutenue le 13 novembre 1866



INTRODUCTION


Les recherches de M. Chevreul sur les corps gras, entreprises il y a plus d'un demi-siècle, nous ont fait connaître la nature de ces corps par des expériences d'une précision admirable, dont tous les résultats ont été depuis confirmés par les nombreux chimistes qui se sont occupés du même sujet.


L'histoire chimique des matières grasses, considérées dans leur ensemble, laisse aujourd'hui bien peu à désirer ; le seul point encore obscur de cette histoire est relatif à l'action de l'air sur les huiles et sur les acides gras liquides qu'on en retire.


Cette question, très-intéressante au point de vue de la chimie pure, acquiert une grande importance pour les nombreuses applications des huiles dites siccatives à la fabrication des vernis et à l'art de la peinture.


On désigne depuis longtemps, sous le nom d'huiles siccatives, les huiles qui se durcissent ou se dessèchent à l'air, et l'on appelle huiles non siccatives, celles qui s'épaississent à l'air sans se durcir. Cette distinction n'est pas complètement arbitraire, cependant il est difficile de tracer la ligne de démarcation qui sépare les huiles siccatives des huiles non siccatives : le seul point aujourd'hui bien établi, c'est que le change-ment d'état que les huiles éprouvent au contact de l'air est dû, dans tous les cas, à l'absorption de l'oxygène.


Les phénomènes d'oxydation ou de combustion lente, produits à la température. ordinaire par l’action de l’air sur les matières organiques, jouent le plus grand rôle dans la nature ; ils concourent, par leur continuité, à maintenir la composition de l'atmosphère dans un état constant, en produisant de l'acide carbonique nécessaire à la vie des plantes ; on les observe partout et toujours, et cependant on ne les connaît encore que bien Certaines substances bien définies absorbent directement l'oxygène de l’air sans qu’il y ait élimination d'eau et d’acide carbonique ; c'est ainsi que l'huile essentielle d'amandes amères se transforme à l'air en une matière solide cristallisée, qui est l'acide benzoïque. D'autres produits en s'oxydant perdent de l'eau, résultant de l'action de l'oxygène sur une portion de l'hydrogène de la matière organique; c'est le cas de l'indigotine blanche quand elle se transforme en indigotine bleue; enfin, pour certains composés, l'action lente de l'oxygène peut donner lieu à une élimination d'acide carbonique ou produire simultanément une élimination d'eau et du même acide carbonique ou d'autres produits plus complexes.


Telles sont les circonstances différentes que présentent les substances organiques qui, s'oxydant à l'air sans l'intervention de matières étrangères, peuvent activer ou ralentir le phénomène d'oxydation, ou changer complètement la nature des produits.


Beaucoup des matières organiques inaltérables à l'air sec se décomposent sous l'influence simultanée de l'air et de l'humidité; d'autres n'absorbent pas l'oxygène dans ces conditions, mais elles s'altèrent aussitôt qu'on les expose à l'air en contact avec un alcali. C'est ainsi que, d'après les expériences de M. Chevreul, l'acide gallique, l'hématine et d'autres substances peuvent être conservées à l'air sans altération, même à l'état de solution aqueuse ; mais une faible quantité d'alcali libre communique à ces corps la faculté d'absorber rapidement l'oxygène et de le transformer en matières brunes semblables à Fulmine.


Certaines substances d'origine végétale subissent une transformation analogue quand on les soumet à l'influence simultanée de l'air, de l'eau et de l'ammoniaque ; dans ces conditions, l'orcine, la phloridzine absorbent vivement l'oxygène en produisant de magnifiques couleurs rouges, violettes ou bleues.


Les combustions lentes sont favorisées encore par certains corps poreux, ou très-divisés, tels que la mousse ou le noir de platine. Sous l'influence de ces corps, les alcools s'oxydent à l'air et se transforment en leurs aldéhydes et leurs acides respectifs.


Plusieurs corps gras neutres ou glycérides s'altèrent directement à l'air, à la température ordinaire, en absorbant de l'oxygène. Suivant quelques chimistes, cette altération des corps gras liquides serait favorisée par la présence de matières étrangères telles que du tissu cellulaire, de l'albumine végétale, du mucilage, etc. Dans cette hypothèse ces matières se décomposent d'abord à l'air, elles agissent ensuite sur les huiles de la même manière que le ferment sur les liqueurs sucrées ; leur altération provoque la décomposition des combinaisons glycériques qui rancissent et exhalent une odeur acre et désagréable.


Th. de Saussure, le premier, a fait sur l'absorption de l'oxygène par les huiles quelques expériences dont les résultats sont bien connus.


Suivant cet habile observateur, la résinification des huiles à l'air se fait sans qu'il y ait élimination d'eau; d'un autre côté, la faible quantité d'acide carbonique qui a pris naissance dans ses expériences l'a conduit à admettre que la soustraction du carbone ne contribue que peu ou point à cette résinification, qui doit être attribuée exclusivement à une addition de gaz oxygène étranger.


Le travail le plus important dont les huiles siccatives ont été l'objet est dû encore à M. Chevreul. Les recherches expérimentales sur la peinture à l'huile publiées il y a quinze ans présentent un nombre considérable d'expériences instituées méthodiquement, pour savoir d'abord ce qui se passe dans la dessiccation de la peinture et pour constater ensuite les diverses circonstances qui peuvent accélérer ou ralentir cette dessiccation.


Les produits résultant de l'action de l'oxygène sur les huiles ont été jusqu'ici peu étudiés; on n'a sur leur nature que des idées vagues et incertaines. Il m'a paru intéressant de chercher à mieux connaître ces produits ainsi que les changements chimiques successifs que subissent diverses espèces de corps gras neutres pendant leur oxydation.


Le cadre de mes expériences, tracé depuis longtemps dans mon esprit, comprenait dès le principe :


1° L'action de l'air à la température ordinaire et à la lumière diffuse sur un certain nombre d'huiles végétales d'origine authentique ;


2° L'action d'un courant d'air sur quatre espèces d'huiles chauffées au bain-marié, à la température de 100 degrés; les huiles choisies parmi les précédentes pour avoir des termes de comparaison sont celles de sésame, de ricin, de lin et d'œillette ;


3° L'influence comparative de la lumière directe du soleil, de la lumière transmise par des verres de diverses couleurs, et de l'obscurité sur la marche du phénomène de l'oxydation des mêmes espèces d'huiles exposées à l'air à la température ordinaire ;


4° L'action de l'oxygène pur sur les mêmes huiles à la lumière diffuse à la température ordinaire et à 100 degrés ;


5° L'action de l'oxygène ozone, de l'eau oxygénée et de quelques autres corps oxydants


6° Enfin l'étude-générale des divers produits obtenus dans ces expériences et spécialement du produit qui est fourni par l'huile de lin après une exposition prolongée au contact de l'air.


Pour réaliser ce programme, la première condition était d'avoir des huiles d'une pureté absolue. Je ne pouvais pas penser à me les procurer dans le commerce, où l'on trouve difficilement des substances d’une pureté certaine ; j’ai dû me résoudre, dès lors, à extraire moi-même les huiles que je me proposais d’expérimenter : c’était l’unique moyen d'avoir des produits d'origine authentique et par suite des résultats comparables.


Pour retirer quelque utilité de cette partie de mon travail, je ne me suis pas borné à extraire simplement les huiles dont j'avais besoin pour mes essais, j'ai cherché en outre à déterminer aussi exactement que possible la proportion de matière grasse contenue dans tous les produits oléagineux indigènes ou exotiques que j'ai pu me procurer. J'ai lieu d'espérer que cette partie de mes recherches, qui a été sans contredit la plus longue et la plus pénible, aura quelque utilité pour l'industrie, pour le commerce et même pour l'administration. Ce sujet formera la première partie de ce travail, j'exposerai ensuite successivement les résultats principaux de mes expériences dans l'ordre où elles ont été exécutées.

 




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